3 juin 2025

Les sakés méconnus à découvrir absolument

Les sakés méconnus à découvrir absolument

Les sakés méconnus à découvrir absolument

Une plongée dans l’univers caché du saké

Quand on parle de saké, une image stéréotypée s’impose : celle d’un breuvage chaud, servi dans une petite coupelle en céramique, en accompagnement de sushi dans un restaurant japonais. C’est pourtant une vision réductrice. Le saké, tout comme le vin ou le fromage en France, est un univers d’une richesse insoupçonnée. Il existe des centaines de variétés, des méthodes de production très différentes, et des saveurs allant du sec minéral au sucré fruité.

Au fil de mes années en tant que chef et formateur en cuisine nippone, j’ai eu l’occasion de rencontrer de petits producteurs passionnés, souvent invisibles à l’exportation, mais qui élaborent des sakés d’une complexité et d’une finesse remarquables. Dans cet article, je vous propose de découvrir quelques sakés méconnus qui mériteraient d’être sur toutes les tables des curieux et des puristes.

Comprendre d’abord ce qu’est un « saké méconnu »

Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons ce que j’entends par « sakés méconnus ». Ce ne sont pas nécessairement des sakés rares au sens où ils seraient introuvables, mais plutôt des styles, des origines ou des méthodes de fabrication peu connues du public occidental. Certains d’entre eux peuvent être trouvés en France dans quelques boutiques spécialisées ou sur des sites d’importation.

Le Japon compte environ 1 400 brasseries de saké (kura), dont beaucoup produisent en petite quantité pour une distribution régionale. Ce sont dans ces niches que se trouvent les trésors gustatifs dont on va parler ici.

Saké nigori : le nuage dans votre verre

Le saké nigori est reconnaissable à son apparence laiteuse. Il s’agit d’un saké non filtré, ou partiellement filtré, où une partie du riz fermenté reste en suspension. Depuis quelques années, on commence timidement à le voir dans certaines épiceries fines en Europe, mais il reste encore largement sous-estimé.

Son goût est souvent plus doux, avec des arômes de noix de coco, de banane mûre ou de yaourt — oui, de yaourt ! Il accompagne à merveille un dessert japonais comme un daifuku à la pâte de haricot rouge, ou même un bleu d’Auvergne si on ose les mariages audacieux.

Un exemple remarquable : le Kikusui Funaguchi Ichiban Shibori Nigori, un saké nigori légèrement pétillant servi en canette, très populaire au Japon mais méconnu en France.

Saké yamahai et kimoto : la tradition vivante

Avant la pasteurisation et l’ensemencement de levures industrielles, les brasseries japonaises utilisaient des méthodes naturelles de fermentation reposant sur des procédés appelés kimoto et yamahai. Elles consistent à créer un environnement acide favorable à la levure à partir de bactéries lactiques indigènes. Cela demande plus de temps, de travail manuel, et surtout, beaucoup d’expertise.

Le résultat ? Des sakés au goût plus robuste, plus umami, avec des notes de champignon, de cuir, parfois presque terreuses. Ils se boivent souvent chauffés (kanzake), pour révéler toute leur profondeur aromatique.

Je recommande particulièrement le Biwano Choju Yamahai Junmai, de la préfecture de Shiga. Il offre une belle structure tannique qui rappelle certains vins du Jura.

Le doburoku : l’ancêtre du saké moderne

Encore plus brut que le nigori, le doburoku est considéré comme l’un des formats les plus anciens du saké. Il s’agit d’un saké non filtré, fermenté dans sa forme la plus rustique. Très crémeux en bouche, il titre souvent entre 12 et 14%, et peut contenir des grains de riz entiers non dissous.

Longtemps interdit au Japon pour des raisons sanitaires et fiscales, le doburoku connaît aujourd’hui une forme de renaissance grâce à un assouplissement de la réglementation. Quelques producteurs artisanaux ont lancé des festivals dédiés uniquement au doburoku.

C’est un saké surprenant : épais, rustique, généreux, presque un plat à part entière. Essayez-le avec un plat de poisson grillé ou encore un curry japonais légèrement épicé.

Les sakés vieillis (koshu) : à contre-courant du frais

Les amateurs de vin savent qu’un bon cru peut se bonifier avec le temps. Il en va de même pour certains types de saké, notamment le koshu, un saké vieilli en cuve ou en bouteille pendant plusieurs années — parfois plus de dix ans.

Le vieillissement fait apparaître des arômes inattendus pour un saké : caramel, noix, cacao, voire sauce soja douce. Sa robe devient ambrée, presque dorée, et sa texture rappelle celle d’un sherry ou d’un whisky.

Un exemple impressionnant : le Kamikokoro Koshu 10 Years, qui, comme son nom l’indique, a patienté une décennie dans les caves de la brasserie Kamikokoro à Okayama. Il se savoure lentement, à température ambiante, et peut rivaliser avec un bon digestif en fin de repas.

Les sakés français : une curiosité devenue réalité

Et si je vous disais qu’on produit désormais du saké… en France ? Depuis quelques années, plusieurs initiatives ont vu le jour à Paris, dans le Jura ou encore en Alsace. Le plus célèbre reste aujourd’hui Wakaze, une brasserie fondée par des Japonais installés à Paris. Ils utilisent du riz de Camargue et une eau française, tout en respectant les techniques de brassage nippones.

Ce croisement entre terroirs français et savoir-faire japonais donne naissance à des sakés aux notes parfois florales, parfois minérales, voire presque vineuses. Un bel exemple de ce phénomène est leur cuvée Yuzu, affinée avec des zestes frais et parfaite pour un apéritif estival.

À surveiller aussi : la microbrasserie Les Larmes du Levant, dans le Rhône, avec des créations très pointues sur de petits volumes.

Saké pétillant (awa-zake) : le nouveau mousseux japonais ?

Dans un registre plus festif, le saké pétillant mérite également un coup de projecteur. Appelé awa-zake en japonais, ce type de saké utilise souvent une refermentation en bouteille à la manière du champagne. Le résultat : de fines bulles, de la fraîcheur, de la légèreté.

Saviez-vous que le Japon a même un label officiel pour les sakés pétillants haut de gamme ? L’Awasake Association encadre un cahier des charges très strict pour garantir qualité et naturalité des bulles.

Parfait à l’apéritif ou avec un sashimi de daurade au yuzu, ce saké connaît déjà un certain succès dans les bars à vin tokyoïtes. En France, l’excellent Shichiken Sparkling Sake est parfois disponible dans certaines caves spécialisées.

Comment explorer ces sakés en tant qu’amateur ?

Vous souhaitez goûter à ces merveilles ? Voici quelques conseils pratiques pour démarrer :

  • Visitez des cavistes spécialisés en culture japonaise — à Paris, des lieux comme Workshop Issé ou La Maison du Sake font aujourd’hui office de références.
  • Pensez à commander en ligne sur des plateformes comme Uisuki ou Wakaze.fr, qui proposent des sélections pointues avec des fiches explicatives.
  • Apprenez à déguster le saké comme on déguste le vin : observez la robe, sentez le nez, identifiez les arômes à l’attaque, au milieu et en finale.
  • Variez les températures de service. Certains sakés gagnent en complexité autour de 40°C, d’autres s’apprécient bien frais autour de 10°C.

Et dans le cadre de la formation ?

Pour les professionnels de la restauration ou les passionnés en quête de perfectionnement, intégrer une dimension saké à sa formation culinaire devient un atout de plus en plus pertinent. De nombreuses écoles au Japon — comme la Sake Service Institute ou la Saké Sommelier Association — proposent des cursus complets. En Europe, certains chefs japonais basés en France commencent à proposer des masterclasses orientées saké et accords mets.

L’apprentissage du saké, au-delà de la simple boisson, permet aussi de mieux comprendre le rapport japonais au goût, au temps et à la fermentation. C’est une clé précieuse pour qui veut s’immerger dans la gastronomie nippone avec sérieux.

Une richesse à portée de verre

Ces sakés méconnus sont autant de portes d’entrée vers une culture du goût où patience, subtilité et histoire se conjuguent. En redonnant leurs lettres de noblesse à des méthodes ancestrales ou en explorant des territoires inédits (comme la France), ces sakés racontent quelque chose du Japon d’hier et d’aujourd’hui.

Alors la prochaine fois que vous cherchez à surprendre vos convives ou simplement à élargir votre palais, posez-vous la question : et si ce saké que je ne connais pas encore devenait mon nouveau coup de cœur ?