Lorsque l’on prépare un sushi, le choix du poisson est crucial. Non seulement pour la saveur et la qualité du plat, mais aussi pour des raisons écologiques et éthiques. Depuis quelques années, la conscience environnementale s’invite dans les cuisines, et le sushi ne fait pas exception. Pêcher intelligemment, c’est aussi savoir s’adapter, respecter la saisonnalité et opter pour des espèces dont la pêche ou l’élevage préservent l’équilibre des océans.
En tant qu’ancien chef et formateur en cuisine japonaise, j’ai vu évoluer la profession. Hier, on se concentrait uniquement sur la technicité et la fraîcheur. Aujourd’hui, la durabilité est un véritable critère de qualité. Alors, quels poissons privilégier pour un sushi éthique, sans compromettre le goût ? C’est ce que nous allons voir ensemble.
Pourquoi repenser le choix du poisson dans la préparation des sushis ?
Le sushi, dans sa forme actuelle, est né au Japon au XIXe siècle, dans un contexte où les poissons étaient pêchés principalement en mer intérieure, en petite quantité et de façon artisanale. La mondialisation de la cuisine japonaise a profondément modifié cette dynamique. Aujourd’hui, certaines espèces comme le thon rouge sont victimes de leur succès : surpêche, élevage intensif, capture illégale… Le revers de la gastronomie est parfois lourdement payé par la biodiversité marine.
Selon la FAO, plus de 34 % des stocks mondiaux de poissons étaient surexploités en 2017, un chiffre en constante augmentation. Le sushi, plat emblématique, peut donc devenir un acteur du changement – à condition d’adapter nos choix.
Cela ne signifie pas se priver, mais réinventer. Et croyez-moi : il existe une variété impressionnante de poissons durables, tout aussi savoureux, souvent méconnus, qui apportent une vraie fraîcheur dans l’assiette et dans la pensée culinaire.
Critères pour choisir un poisson durable
Avant d’entrer dans le détail des espèces, posons les bases. Un poisson durable respecte plusieurs critères :
- Il provient d’une pêcherie ou d’un élevage certifié (MSC, ASC, Bio Europe, NatureLand…)
- Sa population est stable ou en croissance dans son habitat naturel
- Sa capture ou son élevage a un faible impact sur les écosystèmes marins
- Il n’est pas menacé ou en danger selon l’UICN ou d’autres organisations environnementales
Par ailleurs, la notion d’éthique peut inclure des dimensions sociales : conditions de travail dans les élevages, circuits courts, traçabilité, transparence des fournisseurs, etc. Un bon point de départ est de privilégier les produits locaux ou issus d’aquaculture responsable européenne.
Les alternatives durables aux poissons traditionnels pour sushi
Voici une sélection de poissons utilisés en sushi qui présentent un bon profil écologique, que ce soit en pêche sauvage raisonnée ou en aquaculture certifiée. Je précise ici les préparations possibles, en prenant en compte la texture, la saveur et la compatibilité avec les techniques japonaises traditionnelles.
Le maquereau (Saba) – pêché localement en Europe
Le maquereau de l’Atlantique est abondant, rapide à se reproduire et peu menacé. Il est parfait en sushi après une légère maturation ou salaison (shime-saba). Sa chair grasse, à la saveur prononcée, rappelle des touches de saumon grillé avec un fond iodé très expressif.
En France, on trouve du maquereau en pêche côtière artisanale (label Pavillon France), disponible une bonne partie de l’année. Un vrai poisson de terroir, en somme.
La truite arc-en-ciel – l’atout de l’aquaculture européenne
La truite élevée en France, en Italie ou en Autriche selon des normes Bio ou ASC, constitue une alternative solide au saumon devenu problématique (élevé de manière intensive, traité aux antibiotiques, importé du Chili ou de Norvège…).
En sushi, sa chair ferme, rose et légèrement sucrée ravit les palais. Elle se prête très bien au nigiri et au sashimi, notamment en version fumée ou marinée façon zuke.
Le chinchard (aji) – petit poisson, grand goût
Le chinchard est sous-estimé. Pourtant, au Japon, c’est un poisson apprécié pour son umami naturel. Moins gras que le maquereau, il offre une mâche délicate et un goût subtil qui s’accorde parfaitement avec du gingembre mariné ou une pointe de yuzu.
Disponible à l’année en Atlantique, le chinchard présente une pêche durable, pourvu qu’il soit capturé à la ligne ou en petite senne.
La dorade grise ou royale – la pépite méditerranéenne
La dorade, issue de petites pêches côtières ou aquaculture bio méditerranéenne, est un choix astucieux. Elle a une chair claire, douce et moelleuse qui rappelle un peu celle du tai (daurade japonaise), utilisé traditionnellement pour les sushi de cérémonie (otsukuri).
Préférer la version grise, souvent moins exploitée, et la consommer crue après maturation sous film pendant 24 heures au frais pour révéler sa texture fondante.
Le mulet – méconnu mais savoureux
Souvent associé à la boutargue, le mulet est un poisson robuste, excellent en sashimi. Sa pêche artisanale en Europe est peu destructive, et certaines espèces comme le mulet doré sont très abondantes.
Sa chair blanche, légèrement grasse, lui confère un bon équilibre entre texture et douceur. Il peut aussi être grillé au chalumeau (aburi) pour renforcer les arômes.
Les poissons à éviter (même s’ils sont délicieux)
Parce qu’un bon choix, c’est aussi savoir renoncer à certains incontournables. Voici quelques poissons emblématiques à consommer avec parcimonie, voire à bannir, selon les modes de production :
- Thon rouge (Bluefin) : malgré quelques efforts dans les quotas de pêche, les populations restent sensibles. Si vous en consommez, préférez les circuits labellisés Balfegó ou MSC en période légale de pêche.
- Saumon d’élevage norvégien ou chilien : omniprésent, mais produit dans des conditions décriées (antibiotiques, densité d’élevage, rejets de déchets industriels).
- Anguille (unagi/anago) : en voie de disparition en Europe et Asie, son élevage reste peu éthique. Préférez une alternative végétale si possible.
- Espadon et requin : menacés ou à forte teneur en mercure. En plus, leur chair est peu adaptée à un sushi de qualité.
Il ne s’agit pas d’être radical, mais conscient : ces poissons peuvent rester ponctuellement sur une carte (événement exceptionnel, certification sérieuse), mais ne devraient pas constituer la base d’une consommation régulière.
Astuce de chef : adapter ses méthodes de préparation
Travailler des poissons moins connus demande parfois d’adapter ses techniques. La maturation (jukusei), le pressage (oshizushi), ou encore la cuisson légère (aburi) permettent de révéler de nouvelles notes. Par exemple :
- Assaisonner une truite en zuke (marinade soja + mirin) avant de la trancher pour renforcer son umami
- Sécher légèrement un chinchard avec du sel pendant 2 heures avant de le travailler en nigiri
- Utiliser du kombu pour faire du kobujime (maturation avec algue) sur des dorades locales
Ces méthodes traditionnelles japonaises offrent une belle manière de valoriser des poissons modestes, tout en prolongeant leur durée de conservation – un autre geste durable à ne pas négliger.
L’Europe et l’avenir du sushi durable
Depuis quelques années, plusieurs écoles de cuisine japonaise en Europe (dont quelques partenaires avec qui j’ai travaillé) intègrent désormais la notion de durabilité dans leurs curriculums. C’est une bonne nouvelle, car cela montre que les nouvelles générations de cuisiniers auront les bons réflexes dès leur formation.
En France, plusieurs chefs de sushi s’engagent vers des cartes locales, comme le prouve l’apparition de maki à la truite des Alpes ou de sashimi de chinchard breton. Loin d’être un compromis, c’est souvent une redécouverte du terroir à travers les techniques japonaises. Preuve que l’éthique et la gastronomie peuvent (et doivent) aller de pair.
Alors, la prochaine fois qu’on vous demandera quel est votre poisson préféré pour les sushi, pourquoi ne pas surprendre par un « mulet maturé au kombu » ? C’est éthique, durable, et surtout… diablement délicieux.
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